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 Cadeau de la part d'Elisabeth Barillé

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AuteurMessage
redelberg patrick
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redelberg patrick


Messages : 269
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Date d'inscription : 10/11/2011

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MessageSujet: Cadeau de la part d'Elisabeth Barillé   Cadeau de la part d'Elisabeth Barillé EmptyMar 20 Mar - 15:41

Elisabeth Barillé ( Je vous ferai ce soir une présentation de son dernier livre, comme je le lui ai promis!..) vous offre quelques pages de sa dernière publication, Une légende russe, livre paru le 7 mars de ce mois chez Grasset....Et elle va y joindre quelques photos personnelles!...
La démarche est extrêmement rare!...
Lui écrire pour la remercier serait une belle initiative!...


"Comme mon nom ne l’indique pas, je suis d’origine russe, par mon grand-père maternel, Georges Fiodorovitch Sapounoff. Dans mes veines circule un quart de sang russe. C’est peu, mais pour moi, dès l’enfance, ce fut déterminant. J’ai vécu en banlieue, dans la Russie perdue, la Russie rêvée, la Russie fantasmée d’un homme qui avait été contraint de la fuir, à vingt ans, pour sauver sa peau. J’ai grandi dans la certitude d’un ailleurs. D’une terre lointaine dont je venais et qui rachetait à mes yeux l’infortune de vivre en banlieue parisienne.
J’ai grandi aussi dans une langue, la langue russe, ou plutôt la langue parlée par les Russes éduqués d’avant la Révolution de 1917. Une langue de vieillards tisonnant leurs souvenirs pour ne pas sombrer.
J’ai grandi dans les songes d’un homme que je surprenais souvent les yeux dans le vide.
Suis-je devenue écrivain grâce à cette Russie rêvée ?
Et mon désir d’une vie hors normes, d’une vie voyageuse, à qui la dois-je?
A ce grand-père, fougueux et romantique, ou à l’autre Russe qui fut mon modèle, quand je sentais venir vers moi les pièges tendus aux femmes, toutes les femmes ? A qui dois-je cette vie parmi et par les livres ? A Georges ou à Lou Andréas Salomé ?
A la Chute du Mur, ma première pensée irait vers mon grand-père, mort huit ans plus tôt.
Ce prodige, l’aurait-il cru possible ? Je rejette les excès de la Russie nouvelle comme Georges avait passionnément haï la soviétique.
Je marchais sur le sable quand m’a reprise le désir de Russie, d’une Russie réelle. Pourquoi sur cette plage normande ? Pourquoi maintenant ? De manière si impérieuse, si soudaine ?
Parce que j’avais atteint la mi-vie et qu’il me semblait avoir à passer une nouvelle étape, vers plus de profondeur, plus de lucidité ?
Mon nouveau livre, Une légende russe ( Grasset ) raconte le retour en Russie d’une femme qui pendant des années s’est contentée de la rêver. Un voyage de huit semaines dans l’espace et dans le temps, un voyage intérieur aussi, car « il n’y a pas de plus grand voyage qu’au fond de soi » Victor Segalen.
Pourquoi ce titre ? Pourquoi Légende ? Parce qu’il n’y a d’enfance que de fiction, que les souvenirs sont faits de la même matière poreuse que les songes et qu’ils restent la matière première du présent.
***
Extrait N°1
J’ai retrouvé dans mon ordinateur la date d’achat du billet Paris-Saint-Pétersbourg-Paris sur le site de la compagnie Air-France, un vingt décembre 2009, ce n’était pas le premier acte de ce retour en Russie, c’était seulement le plus concret, à cinq mois du départ. Cinq mois à l’avance! Ma sœur s’était moquée. De quoi avais-je peur au juste ? De ne pas avoir de place ? Que l’avion parte sans moi ? Je m’étais bien gardée de lui dire que j’avais peur en effet, peur de revoir la Russie, la Russie Nouvelle, c’est ainsi qu’il faut dire désormais, de ne pas y retrouver la nôtre, notre Russie de petites filles, une Russie de soupirs, de regrets, de splendeurs allusives, immatérielle, sauf à la cuisine et dans les armoires, une Russie d’aneth et de naphtaline, de colliers d’ambre et de tasses d’or, une Russie de vieux, aussi, un club d’édentés, de crapules, de folles, tous uniques en leur genre, sentant soit l’urine soit le Chanel N°5, une Russie de portes qui claquent, entre voisins, une Russie de photos sépia, de cierges friables, de gâteaux secs, la Russie de Georges, Natacha, notre éblouie perdue.
En échange de cinq euros, payables dans l’instant par carte bancaire, le site de la compagnie nationale offrait un délai de réflexion de trois jours. En d’autres circonstances, l’option m’aurait tentée, mais ces retrouvailles que j’ajournais depuis déjà tant d’années, méritaient un oui franc et sonore. Combien d’années au juste ? Assez pour oublier, gaspiller, se perdre et vouloir soudain retrouver la mémoire, et son chemin par la même occasion.
Guider la main virtuelle sur le calendrier des réservations me jetait dans le bain glacé du temps. 1976, premier voyage avec père, mère et sœur, sous l’égide imposée de l’intourist. 1980, second voyage, cette fois comme accompagnatrice d’un grand-père affaibli par l’âge, mais désireux de serrer dans ses bras ceux qui n’ont pas fui comme lui, les nouveaux maîtres du nouvel ordre, amis et proches restés derrière le rideau. 1982, enterrement au cimetière de Chelles, Seine & Marne, de Georges Fedorovitch Sapounoff, né un onze mai 1899 à Koursk. 1989 : Chute du mur de Berlin. 1991 : effondrement du Parti communiste d’Union soviétique. La Russie devient le paradis du tout est possible, l’éden sanglant du tout est permis, je déclare perdu ce pays qui m’était une enfance. Un reportage à la télé sur le Moscou des affaires ou de la nuit ? Je change de chaine. Comme la Castiglione voilait les miroirs coupables de ne plus refléter le séduisant visage d’avant.

Extrait N°2
Hélène m’avait recommandé un restaurant à l’angle de la rue Maïakovski et de la rue Joukovski. A part la boule scintillante au plafond, tout me plait. On me propose une table face au luisant éventail d’une plante de serre. Je commande un bortsch, de la truite, et de l’eau en carafe. Une petite blonde assez maussade m’apporte un quart d’Evian glacé. La rappeler? L’énergie me manque. J’attends mon bortsch. Mon dernier bortsch à la maison ? Dix ans ? Davantage. Ma mère était encore de ce monde forcément ; le bortsch, c’est elle qui s’en changeait depuis la mort de Georges. Une betterave, un quart de choux, ne pas oublier le laurier. L’aneth, toujours en fin de cuisson. Ma mère en sueur devant le faitout, l’ombre de Georges est dans son dos, prêt à fondre sur elle en cas d’entorse à sa recette à lui, la seule authentique. L’assiette arrive, remplie à ras bords. Le laurier est bien là, les brins d’aneth sur toute la surface.
Ce qu’il reste d’une enfance : des larmes qu’on retient.
-Vous êtes poète ?
C’est ma serveuse, et c’est une autre, sa version adoucie. J’entends Genia roucouler du Pouchkine : « Je vous aimais…et mon amour peut-être/ Au fond du cœur n’est pas encore éteint. » J’entends Lena clamer du Mandelstam sur son divan rapé: « Pourquoi mon âme est si sonore/Pourquoi si peu de mots charmants ?... » Les Russes et la poésie. Les Russes et la faim de lyrisme, de beauté. Faim vitale, il y a quarante ans. Et aujourd’hui ? Puis-je croire qu’elle reste source vive dans un pays tombé d’une dictature à l’autre, du communisme au consumérisme ?
-Je suis écrivain.
J’écris sur le bortsch que vous m’avez apporté en prenant soin de ne pas tacher la nappe. Sur l’émotion dont m’a saisie la première cuillérée. J’écris car ceux qui le faisaient à la maison ne sont plus. J’écris pour faire revenir tout ce qu’ils m’ont donné et que je prenais alors comme un dû, comme si les réveils au son du piano, les koulitch en guise de goûter, les cours de danse improvisés dans la salle à manger, les joutes verbales à chaque diner, le besoin de querelle et de sublime, allaient m’accompagner toujours. J’écris car ces privilèges disparus ont laissé leur marque en moi à jamais.
Jamais-toujours.
Entre ces rives, je jette un pont. Ce pont, c’est l’écriture. "
Elisabeth Barillé


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