Corpus :
Texte A
Un sonnet
Avec la manière de s’en servir
Réglons notre papier et formons bien nos lettres
Vers filés à la main et d’un pied uniforme
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme…
Ca peut dormir debout comme soldats de plomb.
Sur le railway du Pinde1 est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : - on en suit quatre, en long ;
A chaque pieu, la rime – exemple : chloroforme.
-Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.
-Télégramme sacré – 20 mots.- Vite à mon aide…
(Sonnet- c’est un sonnet-) ô Muse d’Archimède2 !
-la preuve d’un sonnet est par l’addition :
-je pose 4 et 4= 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 ! Tenons Pégase3 raide :
« Ô lyre ! Ô délire : Ô… » - Sonnet – Attention !
Tristan Corbière
Les Amours jaunes
1873
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Texte B
Nuit rhénane
Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme
Ecoutez la chanson lente d’un batelier
Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes
Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds
Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n’entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées
Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent
Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter
La voix chante toujours à en râle-mourir
Ces fées aux cheveux verts qui incantent l’été
Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire
Guillaume Apollinaire
Alcools
1913
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Texte C
Je te narine je te chevelure
je te hanche
tu me hantes
je te poitrine
5 je buste ta poitrine puis te visage
je te corsage
tu m’odeur tu me vertige
tu glisses
je te cuisse je te caresse
10 je te frissonne
tu m’enjambes
tu m’insupportable
je t’amazone
je te gorge je te ventre
15 je te jupe
je te jarretelle je te bas je te Bach
(…)
tu me lèvres humides
35 je te délivre et je te délire
tu me délires et passionnes
je t’épaule je te vertèbre je te cheville
je te cils et pupilles
et si je n’omoplate pas avant mes poumons
40 même à distance tu m’aisselles
je te respire
jour et nuit je te respire
je te bouche
je te palais je te dents je te griffe
45 je te vulve je te paupières
je te haleine
je t’aine
je te sang je te cou
je te mollets je te certitude
50 je te joues et te veines
je te mains
je te sueur
je te langue
je te nuque
55 je te navigue
je t’ombre je te corps et te fantôme
je te rétine dans mon souffle
tu t’iris
je t’écris
60 tu me penses
Gherasim Luca
Paralipomènes
1976
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Texte D
J’ai longtemps remonté des boîtes à musique
J’ai longtemps récité des tirades classiques
J’ai longtemps cogité sous de tristes tropiques
J’ai longtemps agité pour l’action poétique
5 J’ai longtemps évité l’approche analytique
J’ai longtemps assisté à des autocritiques
J’ai longtemps exalté le pylône électrique
J’ai longtemps respecté le poteau de boutique
J’ai longtemps poireauté au métro République
10 J’ai longtemps déjeuné au bistrot chez Monique
J’ai longtemps recherché des laines gaëliques
J’ai longtemps vénéré l’automne et ses colchiques
J’ai longtemps contemplé les nuages d’Armorique
J’ai longtemps gigoté sous de belles athlétiques
15 J’ai longtemps bafouillé sous le claque et la clique
J’ai longtemps étoffé le paradigmatique
J’ai longtemps déglingué diverses mécaniques
J’ai longtemps roupillé sous de flasques moustiques
J’ai longtemps atchoumé sous le plâtre et la brique
20 J’ai longtemps mijoté sous des bâches en plastique
J’ai longtemps arpenté la surface acrylique
J’ai longtemps calciné sous des tas d’encycliques
J’ai longtemps bombardé l’écran du politique
J’ai longtemps admiré les vagues qui rappliquent
25 J’ai longtemps gravité sous des astres mythiques
J’ai longtemps oublié l’adéquate réplique
J’ai longtemps vérifié le compte syllabique
J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
( Depuis le dix-neuvième siècle, l’espérance
30 de vie antérieure a considérablement augmenté)
Alain Lance
Distrait du désastre
1995